Les poings serrés au fond
Des poches de mon blouson
Je flippe encore à mort : je dois déménager,
J’accuse le bon Dieu, et la fatalité.
Alors ce soir,
Au lieu d’être en rencard,
Je chercherai une maison,
Une maison,
Avec un toit, et des pignons,
Je chercherai une prison, une prison…
C’est quoi c’te masure ? Franchement, on dirait qu’elle a été dessinée par Numérobis un soir d’Halloween… Y’a rien de droit, on dirait qu’elle va s’effondrer. Y’a le crépi qui se détache par plaques. Les volets sont disjoints. Y’a des câbles qui pendent sous les fenêtres.
« Elle est bien, hein ?
– Aaaaah !, hurlé-je, surpris par cette voix venue de nulle part.
– Panique pas comme ça, mon poussin. »
La voix est rauque et lente dans l’obscurité de cette nuit d’automne.
« Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ?, dis-je en cherchant mon interlocuteur.
– Derrière toi, mon chou. »
J’ai horreur qu’on soit familier avec moi.
« Me parlez pas comme ça ! Où ça ?
– Un peu plus bas. »
Je baisse mon regard. Rien.
« Je ne vois pas.
– Plus bas. »
Si je baisse mon regard davantage, je parle vraiment à un nabot.
« Y’a rien.
– Hé, ho, on ne va pas s’insulter tout de suite.
– Y’a rien quand même.
– Si. Un tout petit peu à gauche. Là. Dans les yeux.
– Un chat ?
– Non, un kaléidoscope à rogatons biréfringents. Et arrête de regarder ta gourde comme ça, c’était de la grenadine normale. »
L’hallu totale. Je me fais invectiver par un chat. En français dans le texte.
» D’une : un chat noir dans une rue sombre de nuit, j’ai connu des situations plus claires. De deux : les chats ne sont pas censés parler. Sont pas équipé pour.
– Les laryngotrachéoto… Les lagoryntropi… Les laryngo… Les mecs qu’ont eu un cancer de la gorge non plus. Et pourtant ils parlent quand même. »
C’est n’importe quoi. Ce compagnon de sorcière, noir comme un sac de charbon, non content de faire insulte à 10 siècles de traités de zoologie, ferait même mine d’avoir plus de vocabulaire que moi.
» D’où sortez-vous ?
– De chez moi.
– Et c’est où, ça ? Quelle est l’adresse de votre gouttière ?
– Pop pop pop, mon garçon. »
Le chat, qui se léchait la patte, vient tourner autour de mes jambes.
« Je ne suis pas un de ces matous des rues qui rôdent autour des souricières. J’ai de la civilitude, de la classe, de la raffinité. Je vis dans le grenier d’une vieille dame, qui est persuadée qu’elle a une chouette au-dessus de chez elle. Et toi, mon poussin, tu crèches ?
– Je… je cherche un logement, bafouillé-je.
– Hé hé hé… Je le savais. »
Le chat se roule par terre, s’arrête et me regarde dans les yeux en sortant ses griffes.
« Tu ne pouvais pas mieux tomber, ma souris. Tu es chez le meilleur agent immobilier du coin.
– Agent immobilier ?
– Agent immobilier. »
Le chat s’assoit, et essaie de me regarder de haut. Peine perdue. Cela donne un regard orienté vers le bas sur une tête à la renverse : pas très convaincant.
« Mon p’tit chat, tu as devant toi le meilleur expert en baraques abandonnées, grenier poussiéreux et autres endroits oubliés de votre espèce. Une quantité d’affaires… incroyable !
– Mouais. Pas certain d’être très motivé par les toits branlants et les mansardes pluvieuses.
– Tout ces trésors oubliés ne méritent qu’un tout petit peu d’attention. Attention que notre espèce accorde et pour laquelle les proprios nous remercient.
– Les proprios ?
– Oui, ils aiment beaucoup notre système de surveillance.
– De surveill… Et puis comment ça, « notre » ?
– On ne peut pas gérer la sécurité d’un quartier à soi tout seul. Donc oui, nous sommes un réseau. Le meilleur !
– Le meilleur ? Parce qu’il y en a d’autre ?
– Oui. »
Le chat est visiblement fâché. Il détourne la tête, feule et, après un moment, continue :
« Les piafs. Ils voient tout, tout le temps, partout. On ne peut pas traverser une rue sans qu’ils soient au courant. Tiens, je suis sûr qu’ils nous voient, là. Ils voient que je cherche un client. A mon avis ils vont se venger. T’étonnes pas si tu te prends une fiente sur le paletot un de ces 4, mon mignon. »
Splotch.
« Ah. Qu’est-ce que je disais…
– Hé mais ! J’ai rien à voir dans votre guerre, moi !
– T’inquiète mon petit rat. J’en boulotterai 2-3 en représailles et on n’en parlera plus. En attendant vient te mettre à l’abri. »
Et il grimpe prestement la gouttière. Je prends appui dessus. La gouttière bouge et s’offusque, dans un horrible graillement métallique, d’un tel traitement.
« Mais qu’il est cruche. Passe par la porte, tête de piaf ! »
Hum. Effectivement, c’est plus approprié. Enfin, je ne sais pas. Pour entrer dans le bureau d’un chat, quel est le protocole ?
« Ah ben te voilà. Tu en as mis le temps.
– M. le modèle réduit d’ocelot, vu que je dois faire 10 fois votre poids, je suis particulièrement efficace si je mets moins de 10 fois le temps dont vous avez besoin pour faire quoi que ce soit… Y compris vous attraper par le col pour vous faire essayer les techniques de surveillance de vos concurrents : le vol. Bon. Et si vous saviez que je cherche un logement, que savez-vous d’autre sur moi ?
– Moi ? Oh, trois fois rien, Nanard… Je peux t’appeler Nanard ? Bernard Alicorne, je n’aime pas beaucoup, ça fait béat… Alors, voyons voyons…
– Mais d’où sortent ces fiches ?
– De nos services de renseignement. Tu écoutes quand je parle, mon chat ?
– Non mais… Enfin, je veux dire… A part sous les yeux, où avez-vous des poches ? »
Le chat me regarde intensément.
« Non, rien, en fait je préfère ne pas savoir. Enfin, si, quand même. Comment faites-vous pour écrire ? »
Le chat me tend une fiche recouverte d’une écriture torturée, anguleuse et fine.
« Oh. Je vois. Les mouches. Oui. Pas les meilleurs scribes, mais enfin, on fait avec ce qu’on a, hein ?
– Donc je disais : Bernard Alicorne, natif du Vercors le 3 août … Le 3 août… C’est un 6 ou un 9 ? Hé ben, mon vieux t’es pas tout jeune ! Ca te fait dans les combien, ça ? 2028 moins 1698..
– 9. C’est un 9. Définitivement. Sinon les services administratifs vont se poser des questions. Et on n’est pas en 2028. Enfin j’espère.
– Vit seul, dans un endroit reculé, pas de famille proche, un oncle dans la politique. Petit lit, pas de relation connue, vêtements essentiellement marron, se fait livrer une pizza ananas-anchois le jeudi soir avec un soda. Hé ben, c’est pas fameux-fameux, ça, hein. Tu es dépressif ? Tu veux te suicider en mourant d’ennui, c’est ça ? Une vrai vie d’ermite, hein, mon Bernard ?
– Je ne l’ai pas vue venir, celle-là…
– Ah si, quand même.
– Quoi ?
– Et bien, il semblerait qu’on aime bien…
– Qu’on aime bien quoi ?
– Je ne sais pas… Ce n’est pas très reluisant quand même..
– Mais ? Je ? Comment vous savez ?
– Hé hé hé… Nous avons des yeux partout… Keuf, keuf, keuf… Rheuh, rheuh… »
Le chat a manifestement du mal à respirer.
« Ca va ?
– Une seconde. Te-heu, te-heu, te-heu.
– Un chat dans la gorge, peut-être ? »
S’il eut été possible de jeter un regard noir avec des yeux jaunes, ce chat l’aurait fait.
Mais il est là, hoquetant, et il s’agrippe au sol, la tête faisant des mouvements de va-et-vient dénués de sens. Jusqu’à vomir un petit paquet sur le plancher.
« Reuh… Boule de poils.
– Oh.
– Mais je te tiens, rascal !
– Hein ?
– Alors comme ça, on a mis une tapette sous son oreiller pour attraper la petite souris ? C’est vilain, ça, ça pourrait se savoir !
– Oh, on joue au chantage ? Parce que là, vous venez de vous lécher l’entrepatte 4 fois en moins de 5 minutes, donc l’histoire de la tapette, à côté, c’est du pipi de chat ! Enfin… Si je peux dire.
– Bon, mon chou, venons-en au fait : tu es fauché comme les blés, et moi, cette année, j’ai pas atteint mes objectifs. Donc je te propose un deal.
– Vos objectifs ?
– Mes objectifs. Je croyais avoir dit que j’étais agent immobilier ?
– Euh, oui, mais euh… avec des objectifs ?
– Quel commercial n’en a pas ?
– C’est pas faux. Et donc, vous voulez vous refaire à mes dépens ?
– Ce n’est pas vraiment comme ça que je voulais le présenter… Disons que je crois aux signes du destin.
– Oh oh, vous êtes superstitieux ?
– Disons que j’essaie de voir les indices que l’univers m’envoie.
– Hé ben. Déjà que je tombe sur un minou qui cause, en plus il est dans la milice, et pour couronner le tout il est aussi superstitieux qu’il est noir.
– Dites-donc, votre sécurité laisse à désirer, je viens de voir passer un rat gros comme mon bras.
– Oui, et ?
– Et bien, la sécurité n’est-elle pas censée intervenir ?
– Oh mais nous l’avons fait. La compagnie de dératisation est prévenue.
– Mais ? En tant que chat, vous ne traitez pas le problème vous-même ?
– Frérot, t’as vu la taille du mulot ? J’ai pas envie de m’en ramasser une… Pardon. De toute façon il s’agit de l’un de nos informateurs. On ne va pas coffrer nos informateurs.
– Mouais. Surveiller les maisons en utilisant les nuisibles, le business plan ne me paraît pas fabuleux.
– C’est ça, c’est ça. Écoute ma souris, ça devient urgent. T’es en carafe, je suis en carafe, t’as personne, je suis chef de famille, je te trouve la bicoque et tu nous héberges. Réglo, non ? »
Mort de rire, que j’étais. Mort de rire.
« Ah, ah, ah ! Ah la bonne blague !
– C’est pas gentil, ça !
– Non mais c’est pas ça, c’est parce que … commençai-je à gorge déployée. »
Et à rire ainsi, aspirant l’air poussiéreux de ce taudis à chats, la gorge se met à me piquer.
« Ah, reuh, ah, reuh. teuh, teuh, teuh…
– Boule de poils ?
– Non, teuheu, teuheu, teuheu…
– Accident vasculaire cérébral ?
– Non, keuf, keuf… Il faut que je sorte… Vivre avec ta famille, ça va pas être possible mon minou.
– Oui ben c’est pas la peine de pleurer.
– Je ne fais pas exprès. De l’air, vite !
– Par ici !
– Et barre-toi, le minou !
– Hé mais ! Un peu de politesse !
– Je suis allergique aux chats !!!! Sauve-moi : cours ! »