L’avantage des jours de congé, c’est qu’on peut dépiler la liste des choses à faire un jour ouvrable. L’inconvénient, c’est qu’on va passer sa journée à être pris pour un con. Deux sujets pour le prix d’un.
J’ai un problème chevelu. Le problème chevelu, c’est moi. Je coupe les cheveux de la famille, mais la famille ne me coupe pas les cheveux pour diverses raisons, la non moindre étant que je refuse de laisser l’usage de ciseaux à un individu incapable d’atteindre ma tête sans l’aide d’un escabeau. Bref, je dois recourir à un professionnel. Et il faut en trouver un, chose qui peut nécessiter un vrillage de neurones pour peu qu’on veuille le même service que celui qu’on fournit. Quand j’étais marmot, aller chez le coiffeur signifiait demander au premier pignouf avec une paire de ciseaux sur sa devanture s’il avait de la place, puis de faire la queue, ne pas trop bouger pendant 1/4 d’heure et se délester de 30 francs. Oui, je ne suis plus tout jeune. 30 francs, c’est 5 euros à la louche. Avec l’arrivée des Jacques Dessange et autres hurluberlus capillotractés, c’est 25 euros pour y passer 1/2 heure. Je fais mon savon depuis plusieurs années et refuse qu’on applique sur ma personne des bisphénols et autres perturbateurs endocriniens. Je vais donc chez le coiffeur les cheveux frais lavés par mes soins. Lequel coiffeur ne veut plus me les couper sans me les shampooiner avant. Il veut me facturer sa prestation plus cher sous prétexte qu’il fournit un service dont je ne veux pas et qui risque de m’intoxiquer, et surtout, c’est le shampooing ou pas de coupe. J’ai trouvé dans mon agglomération quelques coiffeurs à la mode Barbès, où l’on peut facilement se faire raccourcir pour 10 € et 10 minutes, tripotage de cuir chevelu exclu. M’y rendant ce matin à l’ouverture, je le trouve occupé. Je fais donc la queue pensant être le prochain client. Le premier quidam parti, une dame s’installe. Je n’avais pas compris qu’elle faisait la queue, c’est ma faute. Le coiffeur l’avait visiblement invitée à patienter assise. Bon, mon hernie n’aura pas la chance d’une telle proposition. Voyant le peu d’affluence, je pars chercher un paquet de couches et regagne la file. Une dame, arrivée entre-temps, interroge le coiffeur sur les modalités de l’abonnement. Oui, c’est curieux, hein, c’est un coiffeur à abonnement. Je patiente derrière elle. La dame part. Des gens viennent, me demandent si je fais la queue pour le coiffeur. Je leur répond par la positive, le premier client se met derrière moi et les autres, jugeant l’attente trop longue, s’en vont. 10 minutes plus tard, le coiffeur, dernier à remarquer ma présence, me demande ce que je souhaite. Je réponds. Le professionnel me signale alors qu’il a un autre client à servir, parti faire un tour pendant l’attente, et m’indique être disponible à 11 h – 11 h 05. Je suis arrivé à 10 h. Mon arthrose ne se fait toujours pas proposer les sièges vacants. La tentation de soulager mon dos par quelques pas me fait partir, puis revenir aussitôt pour apporter cette précision : « je repasserai ». A 11 h, à mon retour, la queue est importante. Je me poste devant le prestataire, qui termine son ouvrage et prend le premier de la file d’attente. A mon étonnement de n’être pas traité à la même enseigne que le client partant, il m’est répondu que je n’ai pas précisé que je souhaitais me faire couper les cheveux à ce moment-là. Je suis parti.
Rentré chez moi, j’appelle mon créancier. J’ai deux prêts chez lui. Un dont je reçois annuellement un court récapitulatif, un autre dont je n’ai pas de nouvelle depuis la souscription. Ayant besoin de documents quant au second, je les appelle.
« Bonjour, je suis Christophe-Oreste de Neuville. J’ai un prêt chez vous, et je ne reçois pas les courriers relatifs à icelui.
– Numéro de contrat ?
– 01 234 567 98.
– Pour confirmer votre identité, donnez-moi votre date de naissance et votre adresse actuelle. (je met en gras parce que ça va être très beau.)
– Dernière pluie, 57, impasse des désenchantements 145790 Malthus ville.
-Merci M. de Neuville. Que puis-je pour vous ?
– Je ne reçois pas vos courriers pour ce prêt. J’ai un autre prêt chez vous, je reçois bien les courriers, mais celui-ci, non. Et là j’en aurais besoin.
– Je vous les renvoie.
– C’est-à-dire que j’ai déjà appelé il y a deux semaines, vous les avez renvoyés et je ne les ai pas reçus. Sans vouloir paraître fat, je pense que les envoyer 50 fois ne me les fera pas recevoir une seule. Je n’ai jamais reçu le moindre courrier quant à ce prêt.
-[Je coupe le rappel de l’historique des opérations], et donc vous voulez le tableau d’amortissement ?
– Oui, non, enfin je veux surtout recevoir vos courriers.
– Restez en ligne.
[5 minutes]
Autre voix : – M. de Neuville ?
– Oui ?
– Alors ?
– Alors quoi ? Attendez, est-ce que votre collègue vous a expliqué ?
– Non. (je vous jure, je ne l’invente pas)
– Bla bla bla, courriers pas reçus.
– Ah mais c’est normal, on envoie un courrier uniquement au 5ème anniversaire.
– ??? Mais, sur l’autre prêt j’en reçois annuellement ?
– Ce n’est pas le même prêt, taux variable, taux fixe.
– Monsieur, ce sont les mêmes prêts, signés le même jour, aux mêmes conditions exactement.
– Non.
– Je… J’ai les contrats dans les mains.
– Vous n’avez pas reçu de courrier annuellement sur aucun prêt.
– Ils sont sous mes yeux.
– Je vous renvoie l’historique des courriers qui vous manquent.
– Merci, mais je n’ai pas reçu tous ceux que vous m’avez envoyé, peut-être qu’ils n’arriveront pas non plus, ceux-là ?
– Votre adresse est bien 84, boulevard des illusions perdues 00000 Surpeuplement ?
– Je… Vous vous rendez compte que vous avez vérifié mon identité avec une autre adresse ? Que l’autre prêt a une autre adresse ? Non, ce n’est pas mon adresse, comme vous l’avez vous-même vérifié il y a 20 minutes, comme vous le vérifiez à chaque fois que je vous appelle ?
– Ah, vous avez déménagé depuis la signature ?
– Sauf votre honneur, il s’agit d’un emprunt immobilier au titre de la résidence principale, comme indiqué dans le nom commercial du contrat. Je l’ai donc signé avec mon ancienne adresse pour déménager dans la nouvelle, celle qui est l’objet de ce prêt. »
Bien, je vais maintenant plonger dans un océan de saucissons et de pâte à tartiner pour soigner mon amour-propre.