Visitons le pays du formulaire E714.

Chers concitoyens, chers élus.

Quand je dis « chers élus », j’entends bien « chers » au sens littéral. Car bien évidemment, le lectorat baillant d’ennui entre deux séances de Facebook attendait la suite des aventures de l’urticaire et des vaches au pays du formulaire E714. Et donc, pour – il faut marteler ceci parce que c’est bien de cela qu’on cause, pour une boîte de lait pour bébé hypoallergénique disponible librement dans les pharmacies, il faut 3 (trois) visites chez le pédiatre, 2 (deux) passages à la mairie, et 4 (quatre) kilos de Prozac. Et traiter avec une calamité peut-être pire que les secrétaires médicaux : les secrétaires de mairie.

Sérieusement, quand l’administratif bloque le productif, c’est qu’il y a un problème dans le service.

Donc, première étape : nous nous rendons compte que notre bonhomme ne supporte pas le lait de vache. Nous en avisons la crèche, qui ne peut pas changer de lait comme cela. Nous allons chez le pédiatre pour une ordonnance. « Kling », fait le trou de la sécu.

Deuxième étape : munis de cette ordonnance, nous nous rendons compte qu’elle est ausi utile qu’une bicyclette à un poisson. Car elle ne convient pas à la crèche. A la crèche, il faut un certificat. Il reste deux semaines avant que la crèche n’interdise le lait maternel et ne donne du lait en poudre, à base de lait de vache, que notre bonhomme ne supporte pas (il crie, pleure, cesse de s’alimenter, ne dort plus, vomit, fait de l’urticaire, une rhinite, bref, un programme de haute voltige). Retour chez le pédiatre. « Kling », fait le trou de la sécu.

Troisième étape : nous déposons le certificat à la mairie. Ce Graal (car il fournit repas sain(t)s en abondance) n’est pas suffisant. Pas suffisant ? Un certificat d’un médecin, une ordonnance du même cabinet pour un lait hypoallergénique, la mention du problème par l’assistante maternelle et les parents, sans parler des hurlements du principal concerné, pas suffisant ?!?

Oui, insuffisant. Les secrétaires vont maintenant rédiger un protocole personnalisé. Rédiger un protocole personnalisé, ça veut dire écrire sur un papelard pré-imprimé en deux exemplaires l’état civil du bébé et les coordonnées des parents avec des fautes, des inversions, et, tenez-vous bien : différentes d’un exemplaire à l’autre ! Ah oui, tant qu’à se gourer, autant se gourer différemment. Sauvage, c’est dur à orthographier, tout de même. Ce protocole devra être signé par les parents et le pédiatre, le reste, la crèche se débrouille. Devinez ce que fait le trou de la sécu ? Non, pas ce coup-ci, le pédiatre, lassé de facturer des travaux de gratte-papier, nous offrira sa griffe. Notez que notre petit bout n’est plus qu’à une semaine de sa grève de la faim, vu que le service petite enfance n’a pas su nous donner un exemplaire vierge pour que nous le « personnalisions » : il a fallu repartir de la mairie les mains vides, et attendre sagement que le facteur daigne nous l’apporter. Et après, c’est nous qui sommes lents.

Quatrième étape : dans 24 heures, adieu lait. Mais tout va bien, maman fait la navette entre le pédiatre, le boulot et la mairie. Sauf que papa se pose une question : c’est quoi cette autorisation parentale, citée dans les pièces à joindre ? La secrétaire de mairie nous le confirme : il s’agit de l’autorisation que nous avons reçue avec le protocole. Donc, non contents d’être nuls en recopiage, ils ne sont pas fichus de mettre un papier dans une enveloppe. Je croyais que les secrétaires avaient une formation en communication écrite. Mais si on court dans tout Guyancourt depuis quinze jours, qu’on demande, qu’on réclame à cor et à cri ton pro(c)tocole, elle n’est pas évidente, ton autorisation ?

Passons sur les « mais ce n’est qu’une remarque », nous avons réussi à satisfaire l’oligarchie administrative. Mais, nom de nom de bon sang de bonsoir, que peut une mère célibataire qui fait les 3 x 8 face à l’inertie et la suffisance de cette administration ? Certains esprits chagrins pourraient même faire remarquer qu’en ces périodes de restrictions budgétaires, on paie pour se faire mettre des bâtons dans les roues.