Ils se rencontrent au mois d’janvier
Car une nouvelle année commence
Mais depuis des éternités
L’a pas tellement changée, Romance
Passaient les jours et les semaines,
Les deux pendus au téléphone,
En visioconf, c’est de la bonne
Moi, sur ce coup-là, j’tiens la chandelle…
Enfin, la lampe torche. Mais pas pour longtemps, on allait avoir besoin de moi. On allait solliciter ma grande lucidité et mon immense clairvoyance. Ainsi, vint ce jour :
Elle : « Je serai à Paris la semaine prochaine.
Lui : – Non ? Vraiment ? Formidable ! »
Moi : j’étais sur les sites « comment détecter un brouteur ».
Elle : « J’ai un souci, je ne sais pas si je vais pouvoir venir.
Lui :- Ah mince, de quoi s’agit-il ? »
Moi : Au dernier moment, le brouteur prétextera un problème.
Elle : « Ma carte bancaire n’est pas passée pour l’hôtel.
Lui : – On peut essayer avec la mienne ? »
Moi : Le brouteur essaiera de vous faire avancer les frais.
Elle : « Non, je ne veux pas que tu paies. C’est mon voyage, mon problème.
Lui : – Écoute, ici j’ai une chambre vide. Dans le pire des cas pour toi, tu ne trouves pas d’hôtel tout de suite et tu viens dormir là. Dans le meilleur des cas pour moi, tu ne prends pas d’hôtel du tout et chez moi devient ta base avancée pour tes vacances parisiennes. »
Moi : Le brouteur essaiera de vous faire avancer les frais.
Elle : « Non non, je préfère l’hôtel.
Lui : – Je comprends. Mais tu as prévu ce voyage depuis longtemps quand même, tu es déjà en Turquie, tu ne vas pas faire demi-tour si près du but ? »
Moi : Le brouteur prétextera un problème.
Elle : « J’arrive par le train de 19h17, gare de Lyon.
Lui : – Juste pour vérifier parce qu’en langue étrangère on peut se perdre. La gare de Lyon, de Paris ? On est d’accord ? Pas la gare de Lyon de Lyon ?
Elle : – Paris. Comment j’arriverai chez toi ?
Lui : – Je viendrai te chercher. »
Toute la journée. Toute la journée il avait les yeux rivés sur le téléphone. Et à 18h00, il est parti se changer. Il s’est fait propre, cette andouille, il s’est coiffé, il a choisi une pelure propre, et ce sous-doué est parti.
Il a pris le tram, le RER, le métro, et ce n’est qu’à la gare en voulant vérifier l’horaire de train, qu’il s’est rendu compte de sa stupidité. Il avait changé de pantalon. Le téléphone était resté dans l’ancien.
Il a été beau joueur. Vu qu’avant les téléphones cellulaires, les gens arrivaient à se rejoindre dans une gare, il a piqué une feuille à un étudiant et un stylo à un guichet, et il a écrit son nom, son nom à elle, son nom qu’il avait prononcé tant de fois ! Mais qui s’écrit en cyrillique. Déjà qu’il a du mal à déchiffrer cet alphabet-là, alors pour l’écrire, tintin !
Il s’est posté comme un chauffeur de taxi devant la voie. Le train n’arrivait pas. Le stress était fort. Le train est arrivé. Les voyageurs sont descendus. Il ne la voyait pas. Le stress montait. Il n’y avait plus de voyageur. Elle n’était pas là. Le stress était au plus haut. Il s’imaginait tout et n’importe quoi. Impossible de la joindre, forcément. Il l’imaginait paniquée quelque part dans un pays hostile, abandonnée. Putain d’étourderie. Il se mit à courir dans la gare. Il voulait appeler quelqu’un : un chef de gare, un guichetier, n’importe ! Foutue automatisation, où est l’humain, bordel ! Y’a personne dans c’te gare ?
Et il reprit contrôle de lui -même. Et avant de repartir chercher son téléphone, il retourna sur le quai. Et tout au bout du train, là-bas, au loin, il vit une petite silhouette descendre. Son cœur ne fit qu’un bond et il se remit à courir, mais cette fois en riant, en riant ! C’était elle ? Oui, ça ne pouvait être qu’elle. Ce pas-là. Ce manteau-là. Il bondissait. Il dansait. Le quai semblait s’étirer sous ses pieds, comme un rêve où on n’avance pas. Et il l’arracha du sol dans un tourbillon de joie et d’émotion. C’était réel. C’était irréel. C’était elle.
Moi je dis : probablement un scammer.