Au temps jadis, quand le monde était jeune encore et les banquiers pas trop présidents de la République, il y avait quelque chose qui s’appelait le service public. C’était, j’en conviens, un monde barbare où la concurrence libre et non faussée avait toutes les peines du monde à s’imposer, tant on était jaloux de garder le contrôle sur nos petites infrastructures.
Heureusement, quelques banquiers ont travaillé d’arrache-pied pour que ces horribles monopoles d’État soient déboulonnés, renversés, et offerts à la concupiscence d’un peuple libéré de ses bourreaux.
Ainsi, il fut un temps où on pouvait vivre sans être enregistré dans les livres de compte d’une banque. Mais bon, si on le souhaitait, on pouvait, dans le pire des cas, ouvrir un compte dans une banque. Et si ce n’était pas possible, vous vous tourniez vers la banque de France qui, quelle que soit votre situation, ne pouvait vous refuser l’ouverture d’un compte. Bon, d’accord, ça coûtait un bras. Mais, tout de même, on avait la possibilité d’avoir un compte bancaire.
On a ensuite décidé que toutes les banques devaient être privées. Pour, paraît-il, éviter que ça ne coûte un bras. Je ne vois pas bien en quoi confier quelque chose à un requin de la finance rendrait la chose moins chère pour le client, mais foin de mauvais esprit : adieu les banques publiques, la banque nationale de Paris devenait une simple BNP. Après cela, le compte bancaire est devenu obligatoire. La paie ne pouvait plus être versée en liquide. C’est ennuyeux. Oui mais voilà : toutes les banques étaient devenues des entreprises commerciales qui ne voyaient pas d’un bon œil mercantile les gueux se presser à leurs portes pour toucher la maigre paie qui leur permettrait de boire leur désespoir jusqu’à la dernière goutte. Le gueux n’est pas un bon client. Un bon client, c’est quelqu’un qui finit avec des agios tous les mois et qui les paie. Les surendettés ne sont pas des bons clients. Il a donc fallu que le législateur oblige ces établissements commerciaux à prendre comme clients des gens qui leur coûteraient des sous. Bien évidemment, il a fallu donner à ces banques le manque à gagner. On sent qu’on progresse, n’est-ce pas ?
Bien.
Quelque temps plus tard, les banques se sont rendu compte qu’elles avaient un peu de mal à rétribuer grassement leurs actionnaires. Je rappelle que la banque de France ou toute autre banque nationale n’avait à rétribuer personne (même si elles le faisaient). Mais bon. Kerviel et Madoff étant passés par là, les actionnaires deux fois floués faisaient la tronche pendant leurs parties fines. On raconte même que DSK aurait refusé une fois d’y aller, tant le patron du FMI était morose. Il fallait réagir. Trouver de l’argent à donner aux actionnaires. D’un commun accord, toutes ces banques, pourtant tenues par le principe de la concurrence libre et non faussée (c’est pas comme si elles se prêtaient de l’argent mutuellement entre elles, hein), ont décidé, en même temps et sans se concerter, comme c’est étonnant, de rendre les comptes payants.
Y’a pas à dire, la privatisation, ça fait faire des économies.